Contribution de l’IREST à la Consultation France Stratégie

Depuis 1975 l’IREST, Institut de Recherches Economiques et Sociales sur les Télécommunications, accompagne la transition numérique de notre société, depuis les premières applications des communications numériques, dont Jacques Dondoux, fondateur de l’IREST et ancien président de France Télécom, a été un acteur essentiel, jusqu’aux applications du 21ème siècle qui irriguent de plus en plus notre vie quotidienne : santé, éducation, industrie, transport, énergie, media… Pour cela l’IREST organise régulièrement des tables rondes de haut niveau, dont les débats sont repris dans un bulletin périodique, dont plus de 120 numéros ont fait référence…

Internet et les Télécoms sont devenus, en moins de 20 ans, des forces structurantes de notre civilisation. Leurs services, leurs multiples applications et leur pénétration dans des milliards de foyers, d’organismes et d’entreprises, ont ainsi joué un rôle central dans le maintien de la plupart des interactions sociales et professionnelles durant le confinement.

Or, dans notre pays où 1 Français sur 5 n’est pas ou mal connecté à Internet et où, de surcroit, toutes les démarches administratives seront dématérialisées à partir de 2022, nous nous rendons bien compte que ce « paradoxe à la française » n’est plus tenable, d’autant que nombreux défis restent encore à surmonter à la sortie de la période du déconfinement final: récession économique, décrochage scolaire, licenciements massifs, fermetures d’entreprises et de commerces, exodes urbains… voire même faire face à une deuxième vague de la pandémie ! Plus que jamais Internet et les Télécoms sont donc au cœur de ces enjeux de résilience (capacité à résister aux chocs et à rebondir), et cela pour tous les territoires.

Dans ce sens, la France doit s’engager à la fois urgemment et massivement dans la voie d’un « Digital New Deal » tant français qu’européen !…
Notre contribution à la consultation de France Stratégie sur « le monde d’après » s’articulera ainsi en deux parties : les actions à court terme, en sortie de confinement, et les actions structurelles à plus long terme.

1- Les actions qui nous semblent prioritaires à la sortie de la période de confinement

L’objectif des actions à court terme doit être de redémarrer au plus vite ce qui a été stoppé brutalement à cause de la crise sanitaire : Plan France Très Haut Débit, infrastructures de transport comme le Grand Paris, travaux de construction…

L’objectif de l’Etat était un plan FTTH avec 100% de couverture du territoire en 2025. Il semble que cet objectif sera difficile à tenir, aussi maintenons l’objectif de couverture intégrale du territoire mais donnons-nous un objectif réaliste de 100% en 2027. Il ne s’agit pas d’aller au plus vite coûte que coûte, mais aussi de bien construire un réseau qui durera au moins cinquante ans. Il est indispensable de s’assurer de la pérennité des réseaux FTTH, infrastructure essentielle à l’heure du télétravail. L’IREST suggère de mettre en place un organisme à vocation nationale dont l’objet sera notamment de garantir la qualité et l’interopérabilité des réseaux FTTH et d’étudier leur évolution et les usages associés. Cet organisme associerait les pouvoirs publics et les acteurs industriels. Naturellement un accent particulier doit être mis sur la suppression des zones blanches au plus vite, ce qui n’est plus tolérable en 2020…

Comme nous l’avions souligné le 6 mars 2019 lors du Grand Débat des think tanks du numérique, à l’international, les pays européens étudient et admirent le French Model pour câbler les zones rurales, lequel s’appuie largement sur les Réseaux d’Initiative Publique (RIP), ce qui bénéficie en premier lieu aux habitants et professionnels vivant dans des petites villes et zones rurales.

Pour ne pas casser cette dynamique, l’IREST recommande que le modèle des RIP soit largement étendu, que l’Etat ouvre plus largement son guichet de financement et prenne les mesures nécessaires pour garantir le respect de l’état de l’art dans le déploiement de ces nouvelles infrastructures d’importance vitale.

2- Les actions les plus prioritaires à engager à moyen et long terme pour un développement soutenable

Il faut engager une réflexion collective sur notre avenir commun et les actions à mener pour développer les usages du numérique partout où ils apporteront un avantage pour les citoyens et l’économie, au niveau Français et Européen : éducation, santé, travail, agriculture, industrie, services publics, énergies, transports, médias…

Nous proposons notamment de creuser les orientations suivantes :

  • Vers la généralisation des interactions et transactions sans contact
  • Développement de l’utilisation des données dans les crises, dans le respect de la protection des données personnelles : identification anonyme de proximité, géolocalisation contrôlée…
  • Virtualisation des réseaux et des écosystèmes d’objets connectés, permettant de rendre les écosystèmes industriels programmables, d’en diminuer les coûts de production et d’en raccourcir les circuits de production pour les rendre largement accessibles
  • Elargissement du télétravail et des applications d’intelligence collective
  • Intégration accélérée des technologies mobiles dans les réseaux : intégration des offres fixes et mobiles, développement de l’écosystème Européen de la 5G avec les opérateurs, les constructeurs et les acteurs des industries « verticales » (automobile, industrie 4.0, médias, sécurité, énergie…),
  • Mobilisation de la recherche, en incitant dans cette logique, les laboratoires, les instituts et la communauté scientifique, financés par l’Etat, à travailler (au moins à 15% de leur temps) sur des projets d’intérêt prioritaire et/ou opérationnel, visant à créer des villes et des territoires résilients. Et plus généralement mieux irriguer l’innovation au cœur des territoires…
  • Assurer la résilience des réseaux de communications, afin d’être préparés à d’autres crises de nature différente : résilience des réseaux aux attaques physiques (comme il y en a eu plusieurs, désordonnées mais déterminées, en France pendant le confinement), des modes « ultra minimaux » de communication, des boucles locales radio indépendantes, de l’énergie en secours. Relocalisation de la production d’éléments essentiels de communication, ou de la fourniture des métaux rares face à l’épuisement des mines qui les produisent…
  • Actions pour un déploiement de tous les supports télécoms sur les PME, commerces, ETI, dans les villes moyennes, avec l’aide des patrons de PME/ETI en bon état général pour en faire les « premiers de cordée »…
  • Création et adoption sur tous les territoires de solutions digitales pour les collectivités en faveur du développement des commerces et activités économiques de leur territoire.
  • Mieux protéger le capital des entreprises « stratégiques » pour les territoires, en encourageant le développement de fonds d’investissement locaux.

Jean-Pierre Bienaimé
Président de l’IREST,
et les membres du Conseil d’Administration de l’IREST
Paris, le 29 mai 2020