Interview de Jean-Pierre Bienaimé, Secrétaire General de la 5G Infrastructure Association (5G-IA), et Président de l’IREST (Institut de Recherches Economiques et Sociales sur les Télécommunications) dans le cadre du Livre Blanc « Le numérique et ses déclinaisons sectorielles » réalisé par DLA PIPER.
Comment le numérique a-t-il transformé le secteur des télécommunications ?
Dans le secteur des télécoms, cela fait plusieurs années que le numérique a bouleversé les pratiques au sein des entreprises, notamment au sein de mon ex-entreprise, Orange. La nécessité de se transformer s’est très vite fait ressentir et il y a eu énormément de formations. Les collaborateurs ont ainsi été sensibilisés, non seulement aux nouveaux outils, mais à la transversalité, à l’interactivité, à l’horizontalité permise par le numérique. En réalité, la transformation numérique donne beaucoup l’occasion de parler de l’organisation du travail et des relations dans les entreprises. Elle permet aussi d’organiser autrement les relations sociales, de passer du vertical à l’horizontal, au collaboratif etc. A l’IREST, nous avons organisé en décembre 2016 un colloque intitulé : « Révolution numérique : le management sens dessus-dessous », cela résume la situation.
Quelles conséquences l’utilisation des outils numériques et la transformation en interne a-t-elle eues sur les pratiques du secteur ?
Le développement des outils numériques a permis, par exemple, d’avoir moins recours à des réunions physiques, et davantage à la visioconférence et au télétravail. Il a également fallu poser des règles afin que les outils soient utilisés à bon escient. L’arrivée de nouvelles entreprises dans le secteur, plus collaboratives et plus agiles, a défié les anciennes. Évidemment lorsqu’on a le poids du passé, on va moins vite. Mais Orange, qui est partie d’un statut d’administration publique, a très bien réussi sa transformation complète par rapport à des entreprises comme EDF ou la SNCF, qui sont restées sur leurs anciens quasi-monopoles. Ensuite les grosses structures, si elles réussissent leur mutation, sont en capacité d’aller plus loin que les autres, car elles ont un réservoir de talents plus important. Ainsi chez Orange Wholesale France, nous avions mis en place des outils d’e-learning qui fonctionnaient avec des avatars, rendant ainsi les formations ludiques et interactives. Nous avions, au départ, sous-traité l’outil puis nous l’avons adapté et finalement nous l’avons fait évoluer en interne.
Comment innover grâce au numérique dans un environnement où les contraintes se font de plus en plus prégnantes ?
On constate que dans le secteur des télécoms, l’hyper-concurrence encouragée par les instances européennes devient de moins en moins compatible avec les investissements lourds que nécessite la progression du secteur, en particulier pour déployer la 4G, puis la 5G, et la fibre optique. Il est nécessaire que les opérateurs gagnent de l’argent pour pouvoir investir. Dans ce cadre, le mythe du « tout gratuit », auquel le consommateur s’est habitué, avec un business model de type publicitaire peut devenir un anti-business model…Les opérateurs, avec la réglementation RGPD, n’ont plus accès aux données personnelles et les questions de sécurité deviennent de plus en plus importantes. En outre pour favoriser l’innovation, il est nécessaire d’avoir un paysage réglementaire prédictible et harmonisé. Concernant les questions de spectre et de fréquences, cela a permis de généraliser l’itinérance, avec des conséquences sur les prix. En octobre 2019, lors de la prochaine conférence mondiale des radiocommunications (CMR19), qui aura pour thèmes principaux les hautes fréquences (ondes millimétriques) et la 5G, il s’agira d’aboutir à des normes et bandes de fréquences harmonisées. Dans le domaine des réseaux, on se rend finalement compte que, davantage que la neutralité de l’Internet (« Net neutrality »), ce qui est intéressant, c’est plutôt d’avoir un Internet « ouvert », permettant d’offrir un service de base satisfaisant à tous les utilisateurs, auquel s’ajoutent des services sur-mesure et adaptés en fonction des besoins plus spécifiques de certaines catégories d’utilisateurs.